L’étang asséché de Marseillette

Voici un résumé de l’histoire de l’étang de Marseillette.

1 – Les origines

Plusieurs millions d’années avant notre ère, notre région était recouverte par les eaux de l’Océan Téthys, jusqu’aux flancs de la Montagne Noire.
Il y a environ 15 millions d’années, les eaux se retirèrent peu à peu, déposant des couches successives de sédiments et de sel. Il y a environ 2 millions d’années, la mer Méditerranée occupe enfin ses limites actuelles. Pendant les dernières périodes de glaciation (entre 100 000 et 10 000 ans), les vents violents modèlement le paysage du Languedoc-Roussillon et créent de nombreuses cuvettes éoliennes qui deviendront les étangs de nos régions (Jouare, Montady…). Le plus grand d’entre eux a une superficie de 2 000 hectares, recouverts d’eau stagnante et hérissés de roseaux et de salicornes : l’étang de Marseillette.
Cette cuvette fermée reçoit les eaux d’un bassin versant d’environ 9 600 ha et de trois gros ruisseaux : le Ruchol, la Resclause et l’Aigues-Vives, provocant des surcharges en eau en automne et à la fin du printemps suivi par une forte sècheresse en été.
L’étang est partagé entre six communes depuis 1630 : Marseillette, Blomac, Puichéric, Rieux-Minervois, Saint-Frichoux et Aigues-Vives.

2 – Premières tentatives d’assèchement (1200 – 1800)

Au Moyen-âge, les populations riveraines sont décimées par les maladies propagées par les eaux saumâtres et les moustiques : la suette et le choléra font rage. De nombreux textes attestent d’une espérance de vie très courte pour les habitants des environs de l’étang.
La nécessité d’assécher l’étang devient donc une évidence.
On trouve des témoignages d’assèchements ratés à partir du XIII° siècle.
Les différents propriétaires de l’étang (principalement des seigneurs locaux et des abbayes) peinent à s’entendre et leurs désaccords sont les principales causes de ces échecs successifs.
Ils finissent par se mettre d’accord en 1622 et confient la tâche d’assécher l’étang à la famille Ranchin et ses associés. Ils font creuser la rigole de l’Aiguille qui démarre à l’extrémité Est de l’étang (près de l’actuel domaine du Magasin), passe sous le Canal du Midi (qui n’existait pas encore), traverse Puichéric puis rejoint la rivière Aude (près du pont qui traverse l’Aude). Pendant quelques années les eaux de l’étang sont drainées et en 1626, l’étang est asséché : les associés en détiennent les 11/12.
Mais entre les procès, les guerres de religion en Languedoc sous Louis XIII, l’épidémie de peste de 1626 à 1632 et les inondations, la rigole n’est pas assez entretenue et l’étang s’inonde de nouveau. Les Ranchin rachètent les parts de leurs associés ruinés, renouvèlent leur tentative d’assèchement, mais en vain.
Plusieurs propriétaires vont ensuite se succéder et plus rien n’est fait pour assécher l’étang, jusqu’à ce qu’en 1759, Roudil de Berriac (maire de Carcassonne) rachète l’étang et s’engage à dessécher l’étang de Marseillette dans un délai de huit ans. Louis XV lui attribue les droits exclusifs sur les travaux : les autorités comprennent qu’un projet d’une telle ampleur ne peut réussir qu’avec un propriétaire unique.
En 1777, Roudil, ruiné, revend l’étang à l’ingénieur-astronome toulousain François de Garipuy. Celui-ci a déjà travaillé sur des projets d’assèchement de cet étang mais son décès (lors d’une épidémie de suette à Toulouse) met un terme à ses travaux.
En 1789, la famille Riquet de Caraman rachète l’étang. Elle descend de Pierre-Paul Riquet (le fameux créateur du Canal du Midi) et est déjà propriétaire du Canal. Leur but n’est pas d’assécher l’étang mais d’en faire un réservoir d’eau pour le Canal du Midi. Mais la Révolution met un terme à leur projet.

3 – L’assèchement de Marie Anne Coppinger (1800 – 1840)

En 1789, l’étang devient propriété de l’État quand tous les biens de la famille Caraman sont confisqués après leur fuite pendant la Révolution. Il est ensuite mis en vente aux enchères sous la condition que ses nouveaux propriétaires l’assèchent dans un délai de quatre ans.
L’irlandais Thomas Howard et l’écossais Théodore Wilkins en sont acquéreurs en 1798 mais ne commenceront jamais les travaux. Ils revendent l’étang en 1804 à Marie-Anne Coppinger, veuve d’un certain John Lawless (peut-être un révolutionnaire irlandais) et vivant à Dublin avec son fils Doyle et sa fille Maria Francess. De 1804 à 1808, elle fait creuser trois grandes rigoles qui traversent l’étang, menant les eaux des trois principaux ruisseaux jusqu’à la rigole de fuite des Ranchin, qui est nettoyée et élargie.
En 1808, l’étang est définitivement asséché et l’exploitation du domaine peut commencer. Elle fait construire 18 métairies : le Magasin, Boriette, le Jardin, Plagette, la Vigne, la Jonction, Roquetrincade, la Gravière, Naudy, l’Isthme, Ferrand, le Loup, les Saliès, la Thibaude, Fonfil, Touzèle, la Resclause et la Rouquette. On défriche les terres puis on y plante des céréales, de la vigne, des arbres et on y fait paître des vaches et des moutons. Les grains sont vendus sur place et acheminées aux marchés de Narbonne, Carcassonne, Béziers par le Canal tout proche du magasin.
Mais les procès à répétition avec les riverains, les sommes d’argent considérables empruntées pour les travaux, la mauvaise qualité de certaines terres où le sel remonte faute d’irrigation suffisante, font que la Dame Coppinger ruinée voit ses biens saisis par la Caisse Hypothécaire vers 1840.

4 – Les travaux de la Caisse Hypothécaire (1840 – 1852)

En 1851, la Caisse mène à bien un projet que Mme Coppinger n’avait pu financer : elle fait percer un tunnel de 2 160 mètres qui permet par gravitation d’utiliser une partie des eaux de l’Aude pour irriguer l’étang. Des kilomètres de drains sont nécessaires pour faciliter l’écoulement des eaux d’irrigation qui entrainent peu à peu le sel du sol.
Les drains sont relayés par des canaux tertiaires d’une longueur totale de 33 755 mètres, soit 58 km de fossés au total, qui acheminent l’eau vers des îlots de cultures, riz, vergers, vignes principalement.

5 – Le morcellement de l’étang (1852 – 1900)

En 1852, la Caisse Hypothécaire cède l’étang pour la somme de 2 millions de francs à une société civile, qui peu après le morcèle au profit d’un grand nombre de petits propriétaires des six communes limitrophes : l’étang est à nouveau partagé et l’entretien des canaux est encore une fois négligé, car les travaux ne sont pas coordonnés. Une nouvelle génération de métairies voit ainsi le jour dans les années 1880 – 1900, nommées d’après le prénom de leur propriétaires précédé de « Saint », comme Saint-Gabriel, Saint-Marc, Saint-Pierre, etc.

6 – La période Camman (1900 – 1941)

Dès 1901, l’ingénieur des arts et métiers Joseph Camman vient aider à la gestion de l’étang et devient acquéreur de 800 ha (sur les 2 000 au total de l’étang).
En 1912, il conçoit l’usine hydroélectrique de Naudy qui alimente tout l’étang et permet le labourage à l’électricité des gigantesques champs qu’il faut défricher et défoncer. Il perfectionne ensuite la mise en culture, l’irrigation et les infrastructures (chemins, ponts, etc.) sur tout le domaine.

En 1941, la famille CAMMAN revend le domaine de l’Étang car son exploitation n’est pas rentable malgré les considérables efforts entrepris. Le blé se vend mal et l’état s’octroie une grande partie du vin produit pour un prix dérisoire.

En 1965, il sera revendu à la SAFER.

De nos jours, les cultures principales de l’étang sont la vigne, les pommes et le riz. Il se dit même que le sel, toujours présent en sous-sol, contribuerait à donner à ces produits le petit goût qui fait leur différence… L’ASA gère les travaux d’entretien nécessaire au bon fonctionnement des kilomètres de canaux d’irrigation et du tunnel de Naudy.